mardi, août 22, 2006

UNE EVACUATION TOTALE TEMPORAIRE



Et je vous rassure tout de suite, je suis bien en sécurité sur Ampara, et j’ai même pensé à partir avec mon champagne. Non mais, quitte à être évacuée, autant le faire avec un certain standing.

Un dimanche presque comme les autres sur le terrain, quand on travaille dans l’humanitaire sur le volet urgence, là où les gens dans le monde préfèrent poser un mouchoir blanc sur les désastres de certains pays, de certains conflits oubliés, lors de la diffusion du journal de 20h. L’Ambassade britannique en est à son troisième coup de fil en 24h à notre collègue et de toute mémoire anglaise au Sri Lanka, même au temps fort de la guerre, jamais une telle inquiétude ne s’était manifestée. Mon collègue se laisse gagner par cette inquiétude et bien qu’il habite là depuis plus de six ans, qu’il soit marié avec une Sri Lankaise et qu’il parle un peu beaucoup Tamil, il réalise aussi qu’il n’est plus seul mais que chaque décision prise aura aujourd’hui un impact sur sa femme et son fils.

Bref, chronologiquement, nous sommes samedi soir et l’expatrié Tdh, en charge de la sécurité, en l’absence de notre chef de mission, nous appelle et nous dit qu’il serait bon de tous se regrouper sur la base d’Ampara, dès le lundi, ce qui nous laissait le dimanche pour nous organiser. Dimanche matin, message sécu : Hartal confirmé lundi et mercredi sur la côte entre Batticaloa et Ampara. Il ne nous reste plus que deux fenêtres pour partir, dimanche même ou alors mardi, sachant que nous n’avons aucune possibilité de savoir si la situation le permettra le mardi. Une brève réunion en ce dimanche matin et nous décidons de partir l’après midi même. Nous avons trois heures pour informer le staff, prendre les documents sensibles, finir nos sacs et partir. Trois heures de course folle, de coups de fil incessants: les personnes ressources dans le staff sont contactées et il se trouve que le message passe bien vite chez les autres. Et petit à petit, nous les voyons débarquer au bureau, hébétés, un peu perdu, réalisant que oui, ce coup ci, nous partons et que le plus dur, Darren, l’anglais devenu Tamil part aussi. C’est un peu le coup dur à encaisser.

Les voitures sont prêtes, les cartons solidement accrochés à l’arrière et hop, il ne nous reste plus qu’à dire au revoir au staff. Les larmes montent au coin des yeux, personne n’a été préparée à un départ aussi rapide (même si nous l’espérons encore temporaire). Trop de choses à dire, très peu se disent et là, avant de se laisser aller à une émotion trop forte, nous sautons dans les voitures et c’est à peine si nous jetons un coup d’oeil dans le rétro pour les voir nous saluer, tous alignés.

Alors voilà, c’est tout bête, mais je n’avais qu’une seule pensée en tête tout le long du trajet : appeler mes parents. Pas tellement pour leur dire que j’étais évacuée (enfin si un peu) mais surtout parce que c’est dans ces moments-là que l’on a besoin d’entendre la voix de Papa relativisant sur la situation, d’avoir une voix maternelle qui nous fait plein de bisous et donc de pouvoir passer à quelqu’un d’autre le poids de l’émotion. J’ai bientôt 29 ans et pourtant, j’ai éprouvé ce besoin de petite fille de me faire soutenir par mes parents, une voix, une blague, un trait d’humour et hop, on repart.

Donc depuis une semaine, nous sommes tous, les gens de Tdh sur la petite ville d’Ampara, après avoir trouvé refuge chez nos collègues Tdh de cette base. Alors, ça campe, ça cherche un rythme de vie en adéquation avec les uns et les autres. C’est aussi un temps de découverte et d’échange mais le genre d’échange un peu fort qui ne se dit que quand on vit un évènement peu commun ensemble.

En ce qui concerne notre retour sur Batticaloa, pour le moment, nous n’en savons rien. Notre chef de mission vient d’arriver aujourd’hui et je pense que nous allons poser ensemble tous les problèmes, les doutes et autres joyeusetés sur la table. Je soupçonne même une réorientation possible des programmes. Mais cela, seul l’avenir nous le dira.

De toutes façons, il faut que je remonte sur Batticaloa parce que je n’ai pas pris mes Docs dans le feu de l’évacuation et pour ceux qui suivent mes périples, vous savez que non seulement, il ne peut se faire aucun départ en mission pour Bibi sans ses Docs mais en plus, Doc Marteens ayant décidé d’arrêter les tailles junior, je ne peux que chouchouter les deux seules paires qui me restent ! Celles du terrain et celles de la vie parisienne. Hihihi

Voilà sur cette petite note joyeuse (mes histoires de docs), je termine cette lettre non sans vous dire que je viens de toucher du doigt l’incertitude manifeste qui se dégage des interventions humanitaires. Avant mes vacances en France, j’étais pleine de certitudes, d’envies et d’espoir quant aux programmes (même si la situation était incertaine) mais aujourd’hui, je dois reconnaître que j’ai été un peu ébranlée, juste de réaliser qu’en trois heures de temps, sur la décision d’une évacuation partielle ou relocation comme on dit ici (le mot évac’ semble être tabou sur le terrain), un fonctionnement, une collaboration, un programme peuvent vite être remis en cause. Qui remonte, qui reste, qui prend en charge la situation des IDPs (Internal Displaced Persons) ?

Pour la psycho rigide que je suis, la « Monica » qui aime bien que tout soit en ordre, bien à sa place, j’ai un peu de mal à reprendre le contrôle de ma petite organisation si chère mais je me dis que tant que ma boite mail professionnelle est parfaitement rangée, classée et archivée, tout n’est pas perdu et qu’il me suffit d’un tout petit peu de temps pour retrouver le leadership sur le contrôle et le rangement.

Allez, je m’en vais vous laisser non sans vous faire des bisous tout pleins. Prenez soin de vous mes petits loups chéris et dites vous bien que tant que votre bibi nationale, en pleine crise, pense à évacuer son champagne, c’est qu’elle a encore de la ressource. D’ailleurs, ce champagne va être bu sans doute ce soir pour l’anniversaire de notre chef de mission, en saisissant l’occasion d’être tous ensemble sur Ampara.

Avec toute mon affection

Audrey

ps: demain retour possible sur Batticaloa...

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Ouf, encore une fois, heureux, c'est peu dire d'avoir de tes nouvelles. Je vois que tu prends conscience de ce que la folie des hommes peut faire. L'ancètre que je suis l'a vécue dans son enfance. Aussi, je crois que des petits signes pour dire où tu es en bonne santé physique et morale nous rassureraient tous. Nous pensons très fort à toi et t'embrassons encore plus fort. Michèle et Gabriel

2:39 PM  

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